Colloque international

 

LIRE LES INTELLECTUELS A TRAVERS LA MONDIALISATION

 

TRAJECTOIRES, RESEAUX, MODES D’ACTION, PRODUCTIONS

Institutions organisatrices:

 - Réseau « Acteurs émergents », Maison des Sciences de l’Homme (MSH) Paris 

(Coordonnateurs du Réseau : Abdoulaye Gueye, Yann Lebeau,  Boubacar Niane, Anne Piriou,  Monique de Saint Martin) 

 - Laboratoire « Identités et Territoires des Elites Méridionales » (ITEM, E.A. 3002, Université de Pau et des Pays de l’Adour) : Abel Kouvouama, Evelyne Toussaint, Marie-Paule Lavergne

 - Avec la collaboration du Centre de Recherche et d’Etude des Pays d’Afrique Orientale (CREPAO, UPPA – Pau) : Christian Thibon, Claude Santini.

 

Agenda du Colloque de Pau

 

 

ARGUMENTAIRE

Ce colloque international s'inscrit dans les préoccupations scientifiques des chercheurs du réseau « Acteurs Emergents » de la Fondation Maison des Sciences de l’Homme (MSH) de Paris, du Laboratoire « Identités et Territoires des Elites Méridionales » (ITEM) et du « Centre de Recherche et d’Etude sur les Pays d’Afrique Orientale » à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour.  La perspective se veut comparative et interdisciplinaire (anthropologie, histoire, sociologie, philosophie, sciences politiques).  

         Le colloque ambitionne, en s’appuyant sur l’émergence récente de travaux sociologiques ou historiques[1], de cerner diverses figures contemporaines d’intellectuels, leur  rôle aussi bien dans la jonction de leurs sociétés avec le reste du monde, que dans la construction d’une sphère autonome du pouvoir politique. Autant de questions qui se posent avec une acuité particulière notamment dans la phase actuelle de la mondialisation.

Retracer la genèse de la notion d’intellectuel ne devient possible qu’à condition d’adopter une démarche comparative embrassant différents espaces géographiques et contextes socio-historiques. Le colloque se propose de (re)considérer la “question” et les débats autour des intellectuels sous l’angle élargi du comparatisme historique, sociologique, de l’anthropologie culturelle et des études littéraires. Comparatisme qui répond bien aux objectifs du groupe “Acteurs émergents”, lequel s’est constitué sur une base interdisciplinaire, et en croisant approches généralistes et approches axées sur un champ géographique[2]

         Ilne s’agira pas de proposer une énième définition ou de donner un point de vuenormatif sur les “intellectuels” en tant que catégorie abstraite, mais decerner diverses postures et trajectoires dans différents espaces (Afrique - Europe - Amériques - Asie) et en usant de jeux d’échelles (du régional au national, et à l’international). Il s’agit aussi de tenter d’appréhender le parcours et la mobilité des intellectuels, leurs interrogations sur leurs propres conditions sociales et leur marge d’action; les modes variés de constructions sociales internes et externes des figures de l'intellectuel (féminines, féministes, etc.); les conditions de spécialisation des fonctions des intellectuels, leur précarisation, leurs différentes reconversions scientifiques, sociales et économiques; leurs relations avec les activités lettrées (stratégies d’écriture inédites, tensions et indéterminations statutaires …) ou avec des lieux de pouvoirs (étatique – religieux – civil – militaire, etc.).

                  Trois axes théorique, thématique et empirique, sont proposés et mériteraient d'être considérés dans les différentes communications attendues qui pourront s'appuyer sur des études de cas:

 

1 Constructions et déconstructions des figures et des notions de l’intellectuel : espaces, discours, trajectoires, modes d’action

         C’est sous toutes leurs postures et dans toutes leurs formes d'”engagement” ou de “neutralité”, que les intellectuels, après avoir fait l’objet d’injonctions normatives, sont désormais objet de réflexions dans les sciences sociales. S'interroger sur les conditions socialement et historiquement déterminées expliquant l’émergence des figures d’intellectuels dans les sociétés contemporaines suppose de poser un regard critique sur toutes les formes d'émergence des discours produits par ceux-ci (représentations) et sur leurs modes d'action, et d’interventions (sociales, politiques, littéraires, humanitaires) à différentes périodes historiques. Cela suppose aussi de prendre en compte les cadres concrets où ils vivent et les lieux, « niches » où ils élaborent leurs productions. Il serait indispensable de comparer les trajectoires d’individus choisis pour leur singularité (et non seulement leur supposée exemplarité), ou de groupes plus massifs, secrétés dans des situations historiques diverses et sans préjuger de la linéarité de ces espaces. (comme le montre E. Said, l’impérialisme et se adversaires se disputaient la même histoire). Il serait aussi pertinent de présenter des études de cas présentant des événements où les intellectuels ont pu se mettre en scène ou du moins être reconnus comme tels au cours de crises et moments de tensions. Les temps forts de la mobilisation active et visible des intellectuels -engagement pour les indépendances, démocratisations des années 1990 tant en Europe de l’Est qu’en Afrique par exemple- ne devraient pas masquer des scènes plus discrètes mais tout aussi déterminantes. C’est par une dimension diachronique et synchronique que l’on pourrait mettre en pratique une histoire comparée des intellectuels.

                  On aura le souci d’insister particulièrement sur les paradigmes théoriques à partir desquels les intellectuels s’expriment, ainsi que sur la question du transfert de ces paradigmes. Les travaux sur les transferts culturels (Espagne, 1994 et 1999), sur la réception productive des faits culturels, nous invitent à décloisonner nos partages et à briser nos classements familiers. Par exemple, dans quelle mesure des intellectuels appartenant à différentes traditions linguistiques ou aux mêmes traditions partagent-ils des repères épistémologiques analogues, se demande O. Kane à propos des intellectuels non europhones, soulignant ainsi que l’idée même d’intellectuels europhones doit être repensée afin d’étudier les prises de position des intellectuels non europhones sur les principes universels invoqués par les penseurs des Lumières (…) pour voir comment ils négocient la modernité ?

                     Une mise en perspective historique permettrait de mettre en relief les rôles joués par des intellectuels dans l’invention de nations émergées dans un contexte national, impérial puis post-impérial : Inde, Amériques, Afrique, Europe, Russie. Les espaces impériaux et post-impériaux demeurent des espaces de négociations, de transferts culturels et de mécanismes de métissage (Gruzinski, Bénat-Tachot, 2001) du centre vers les périphéries et vice-versa, mais aussi de“périphéries” à “périphéries”. Entre systèmes cognitifs importés et imaginaires sociaux autochtones, quelles visions du monde des intellectuels colonisés ou en voie de décolonisation, ont-ils élaborées et comment les ont-ils transmises ? Dans quelle mesure les intellectuels contemporains sont-ils affectés par les mêmes événements (guerres, crises, et aujourd’hui mondialisation…) ?

                  La question de la mobilité des intellectuels pris entre l’engagement individuel ou collectif, l’expertise nationale, internationale et la diffusion des savoirs devra être abordée en prenant en compte les trajectoires individuelles et collectives. On repère des usages fort différents de la notion d’intellectuel selon qu’on se situe dans des zones où les intellectuels bénéficient d’une large reconnaissance sociale ou de zones où ils n’apparaissent pas en tant que tels dans l’espace public, selon qu’ils forment des communautés bien structurées ou qu’ils déclinent plutôt les figures déterritorialisées de l’exilé, de l’expatrié, du dissident (quitte à fonder de nouvelles formes de communautés intellectuelles). C’est au sein de ces divers réseaux transnationaux plus ou moins nouveaux que se créent les diaspora intellectuelles (Gueye, 2001).

C’est à cet ensemble d’interrogations non exhaustives que devront se confronter, au cours du colloque, plusieurs regards croisés de chercheurs travaillant sur des aires géographiques différentes. Pour ce faire, on aura le souci d’envisager non seulement les systèmes éducatifs, les modes d’enseignement et les savoirs transmis qui structurent des générations intellectuelles, mais aussi les pratiques culturelles propres à une époque et à un espace (chapelle, clan microcosme, ou réseaux, maisons d’édition), les rôles de l’évaluation et de la publicité à l’origine de la naissance ou du déclin de nouvelles positions (pouvoir croissant des « hommes doubles » à l’interface des media et de l’Académie ou du champ littéraire ou, plus récemment, de ceux qui revendiquent le statut d’experts) et les divers supports culturels (imprimés, oralité couplée ou non à l’écrit, TIC) qui véhiculent, entravent  ou favorisent la diffusion des productions intellectuelles et modèlent  leurs modes d’action (sites Internet, colloques, journaux ).

 

2 – Intellectuels et lieux de pouvoir

Les lieux de pouvoirs socioéconomiques ne se réduisent plus seulement à l’espace étatique : organisations communautaires de base, syndicats, regroupements religieux, sont largement sollicités pour prendre en main le développement de leur collectivité et terroir. Un processus de ‘partage de responsabilités communes’ semble dorénavant engagé et implique la société civile. Ceux qui, jusque là étaient plutôt confinés à des positions périphériques de la « vie publique », deviennent des acteurs plus que présents, incontournables quand il s’agit de définir, de promouvoir des politiques, des programmes de développement socioéconomiques. Qu’en est-il alors des espaces symboliques que les intellectuels aménagent pour construire et préserver leur autonomie? Dans leur quotidien, les intellectuels ne manquent pas de nouer ou dénouer des liens avec de tels centres. Dès lors, on peut se demander comment et par qui sont initiées ces nouvelles relations ? Fait-on appel aux intellectuels ou cherchent-ils eux-mêmes des refuges, de nouvelles rampes pour maintenir leur aura ? Quelles sont les procédures les plus usitées par ces pouvoirs pour convoquer ou co-agir avec les intellectuels? Peut-on parler d’une instrumentalisation des intellectuels notamment quand ils collaborent avec des ONG de développement ou impliquées dans l’humanitaire et qui cherchent à se départir d’une certaine image d’acteurs de terrain incapables de fonder théoriquement leurs actions et/ou d’élaborer des visions prospectives ? 

  

3 – Intellectuels, mondialisations, démocratie

La nature des interventions civiques des intellectuels dans la société est affectée par cet éclatement inédit des lieux de pouvoir. Une troisième séquence permettra d’interroger précisément le destin des intellectuels insérés dans la mondialisation.

Notion en vogue, mais pas toujours claire, la mondialisation est pensée dans sa forme contemporaine comme un processus d’internationalisation, de multinationalisation et d’unification du champ économique  induisant un lien fort avec l’extension du capitalisme à l’échelle mondiale. Elle implique à la fois de l’homogénéisation, des tensions, des oppositions et des dislocations (GEMDEV, 1999), des contre-tendances et des ruptures. Michel Beaud (1999) souligne que la mondialisation s'appréhende d'abord comme l'accession à la dimension mondiale d'une réalité (archéo-mondialisations); ensuite, elle désigne la multiplication et l'intensification d'interdépendances au niveau mondial, et qui se sont renforcées avec les mutations des transports et des communications (proto-mondialisations des cinq derniers siècles); enfin, la mondialisation désigne un mouvement organique incluant de plus en plus un lien fort avec les dynamiques du capitalisme, notamment celles du nouvel âge techno-scientifique du capitalisme.

         Quelles sont les incidences positives ou négatives de la mondialisation sur les productions intellectuelles et scientifiques nationales (ouvrages, revues, littérature engagée, rapports scientifiques, littérature grise, pétitions)? Quelles batailles se livrent des intellectuels autour des concepts de “démocratie” et de Droits de l’homme dans cette nouvelle configuration?

 Comment et dans quels espaces se forment des diasporas intellectuelles et quels liens tissent-elles? Comment, enfin, aborder la question des intellectuels dans la dynamique des sociétés traversées de plus en plus par l'économie de marché ?     

 



[1]  Parmi une longue bibliographie, signalons provisoirement les travaux maintenant classiques de P. Bourdieu, C. Charle, J. F. Sirinelli, P. Ory, M. Winock, pour la France et l’Europe, de J. Kocka, de H. M. Bock sur l’Allemagne, discutés depuis leurs publications par M. Trebitsch, M.C. Granjon, et leurs collaborateurs Voir bibliographie.

[2]   Le réseau Acteurs émergents est conçu comme un espace de rapprochement et d’échange entre des chercheurs en sciences sociales -francophones, anglophones et lusophones, tant africanistes que non africanistes. Ces chercheurs, issus d’Afrique subsaharienne, du Maghreb, d’Europe, d’Amérique du Sud ont choisi d’interroger dans une perspective comparatiste et pluridisciplinaire, les transformations sociales en Afrique et ailleurs. Ce réseau a publié en 2003 Etat et acteurs émergents en Afrique. Démocratie, indocilité et transnationalisation, aux Editions Karthala, IFRA-Ibadan sous la direction de Yann Lebeau, Boubacar Niane, Anne Piriou et Monique de Saint Martin.